Céline Madsen Boyer, la danse comme remède
Après leur deuxième consultation, Céline propose au Dr Aïcha N’Doye son projet : qu’elle chante, et que Céline danse, à l’occasion d’Octobre Rose…sans se poser de question, parce qu’après avoir vécu plusieurs cancers, les questions on ne s’en pose plus. Inspirée, Aïcha écrit une chanson en quelques nuits… C’est ainsi que débute leur histoire artistique. Céline, patiente et danseuse, nous raconte son parcours.
©Artsan, Sandra Boyer
Tu as traversé deux cancers du sein. Qu’est-ce qui t'a permis, à chaque fois, de te relever ?
J’ai traversé deux cancers du sein, le premier à 29 ans avec deux années de traitement. On m’avait dit que je serais stérile et heureusement, j’ai réussi à avoir deux enfants car mes cycles sont revenus. De 29 à 31 ans, j’ai passé ma vie dans les hôpitaux. Mon père a eu un cancer juste après moi à l’époque. Puis à 39 ans, on me trouve des grosseurs à l’utérus alors hystérectomie. Heureusement tout est bénin. Fin 2023, lors de mon contrôle annuel, on me découvre un nouveau cancer du sein, un triple négatif cette fois-ci.
J’ai fait deux tests d’ontogénétique négatifs. Je subis l’ablation de mon sein gauche, et comme j’ai eu deux cancers jeune, j’opte pour une mastectomie prophylactique de mon sein droit. Sur ce sein, je vais développer un staphylocoque doré, le soir de Noël, je pars aux urgences, je repasse au bloc et j’endure six semaines d’antibiotiques très forts, langue marron, problèmes digestifs et autres effets secondaires.
Ma vie s’est effondrée quand mon père a à nouveau eu un cancer après moi, un lymphome. Ma sœur a eu un cancer du sein quelques mois plus tard, nous avons ainsi affronté un cancer tous les trois en même temps. Nous avons accompagné notre père, j’étais en chimio en même temps que lui, et neuf mois de combat intense plus tard, il est hélas décédé. J’étais anéantie. Perdue. Vidée. Ecrasée.
Ce qui m’a aidé à tenir, c’était l’envie de le poursuivre. J’ai puisé cette joie que je ressens en moi, l’amour de mes proches et de mes amis comme soutiens, l’écriture et la danse comme directions. J’écris mon histoire dans mon livre « Ethernelle », pour y prolonger l’existence de mon héros, mon père, et pour écrire mon hymne à la vie. Ma sœur se reconstruit aussi pas à pas.
J’ai l’impression que la création est l’antidote à la destruction. Je crée en écrivant, en dansant, j’ai fait deux magnifiques courts-métrages autobiographiques: « Le tremblement des étoiles » co-réalisé avec mon ami Florent Arène et « Je suis un phénix » avec la sensible Emilie Mauron, Laloca prod. J’ai vraiment l’impression que l’enthousiasme est l’antidote à l’effondrement.
L’amour est mon seul phare dans cet immense chaos. Et en créant, je me sens vivante et je sème des souvenirs et des messages.
Tu dis souvent que tes enfants ont été ta force. Comment leur présence a-t-elle transformé ta manière de traverser la maladie ?
La première fois que j’ai traversé la maladie, je n’étais pas encore maman. Je venais de soutenir ma thèse et le lendemain matin, je partais en chimio. Pas le temps d’effectuer un prélèvement pour conserver une possible fertilité, il fallait aller vite. Quand j’ai entendu le mot cancer lors de l’annonce, j’ai presque plus entendu le mot stérilité. Cela m’effrayait totalement de me dire que le cancer me volerait une partie de ma jeunesse, mais aussi ce projet viscéral d’être maman. Mon mari que j’aime depuis la 5ème, m’a demandé en mariage juste avant ma première chimio, il a traversé ces deux maladies avec moi avec amour. Heureusement, il y a eu un miracle, nous avons eu «Noé», pour symboliquement sortir du déluge, et «Léna» dont l’anagramme signifie «élan», élan de vie, élan d’amour. C’était une chose d’être malade jeune et une tout autre de l’être en tant que mère.
Quand j’ai perdu mes cheveux, après ma douche, je pensais être seule à l’étage mais ma fille était silencieuse derrière moi, j’arrachais par poignées mes cheveux et elle assistait à cela. Nous avons pleuré ensemble, c’était l’année où la Miss France avait des cheveux courts, et elle m’a dit, «tu seras ma Miss France maman ». « Tu n’as pas besoin de cheveux pour être belle, tu rayonnes déjà dans ton cœur ». Elle n’avait que 10 ans. Mon fils Noé a été d’une grande aide, il a été aimant et protecteur. Malgré sa grande discrétion, il a toujours été démonstratif envers moi du haut de ses 14 ans. Ainsi, ils n’ont pas vraiment été des ados agressifs ou en crise, mais au contraire, la vie les a menés vers la résilience. Ils ont vécu leur premier deuil avec la disparition de mon père qu’ils aiment tant, ils devaient affronter le cancer de leur maman et de leur tatie en même temps.
Ils ont été forts mais ils ont pleuré et ont eu peur aussi. Ils ne supportaient pas que je me trouve moins lumineuse, ils étaient très encourageants et me fâchaient quand je me trouvais moins belle.
Le rôle d’une maman est de donner confiance à ses enfants et comme un juste retour des choses, c’est eux qui m’ont rappelé cette confiance et cette joie quand fatiguée et en manque d’estime, je perdais le fil. Dans le labyrinthe du cancer, parcours du combattant, ils ont tenu ce fil pour que jamais je ne le lâche.
La chanson « Pour qu’elle danse » est née de ta rencontre avec le Dr Aïcha N'doye. Comment cette rencontre s’est-elle déroulée ?
©Isa Fromlifephotography
Je suis suivie dans le même hôpital depuis 2006, j’ai vécu avec le même médecin une dizaine d’opérations liées au cancer mais aussi lors de mes deux césariennes pour la merveilleuse naissance de mes enfants. Il a vécu le meilleur et le pire à mes côtés. À cause des désagréments liés à la chimiothérapie, il m’a dirigée vers sa collègue Aïcha.
Pour octobre rose, je savais qu’elle chantait et comme je dansais, j’avais envie qu’on fasse quelque chose toutes les deux. Je n’ai pas voulu hésiter, quand on a un cancer deux fois, on a tendance à faire les choses spontanément et ne plus remettre à plus tard donc je lui ai demandé sans me questionner.
Lors de notre deuxième consultation seulement, je lui ai proposé mon idée et cela lui a fait un déclic comme si elle attendait cela depuis longtemps. Elle a alors écrit une chanson en très peu de temps, nous avons rapidement tourné le clip. Tout est allé vite car tout était une évidence. Nous avons développé une complicité immédiate alors que nous nous connaissions que depuis très peu de temps. Elle a cette attention humaine qui apaise en tant que médecin et elle a cette grandeur artistique avec laquelle je suis rentrée en résonance tout de suite. Nous nous sommes ainsi reconnues humainement et artistiquement. Elle, la docteure en médecine et la chanteuse, moi la docteure en littérature anglophone et la danseuse. Elle qui soigne le cancer, moi qui suis soignée. Une mission commune de gardiennes d’espoir. Et notre message nous a alors largement dépassées. On y incarne la sororité et on brise la hiérarchie entre le corps médical et les patients, on réinvente le lien humain et aimant, deux âmes fortes ensemble qui se tiennent la main.
Qu'as- tu ressenti en entendant pour la première fois les mots et la musique qu’Aïcha a créés pour toi ?
Quand j’ai entendu cette chanson « Pour qu’elle danse », les larmes ont coulé. J’avais la sensation que cette chanson me correspondait mot pour mot, mais je savais aussi qu’elle serait puissamment universelle. Mon histoire est unique mais elle est hélas ordinaire aussi.
Tout est poétique dedans, on y devine la bienveillance des soignants qu’elle incarne et la résilience des patients que j’espère incarner aussi. Elle a su mettre en valeur la puissance du phénix en moi, et à travers cette chanson, elle donne à découvrir son grand cœur de femme médecin. Sous notre clip sur YouTube, on lit des commentaires comme «Mesdames, vous rendez le monde plus beau» ou encore «Vous êtes magnifiques ensemble, le combo de l’espoir» ou enfin «vous passez toutes les deux un message puissant.»
Je suis heureuse de me dire que ce que j’ai ressenti à la découverte de cette chanson, les gens ont vécu la même intensité qui touche en plein cœur, ont reçu la même émotion sincère. Mes larmes ne trichaient pas et la déferlante d’amour qui a suivi cette chanson prouve bien qu’on peut opérer des corps en tant que chirurgienne mais qu’on peut aussi opérer des âmes avec des émotions vraies.
Le tournage du clip a eu lieu avant une nouvelle opération. Qu’est-ce que cela a représenté pour toi de danser durant cette épreuve ?
Le tournage du clip a été une très belle aventure, simple et fraternelle. Nous ne nous connaissions pas auparavant, mais une fois le tournage lancé, il y avait une forme de complicité et d’évidence immédiates. C’était fort aussi pour moi d’avoir une journée de tournage au bloc opératoire et une autre au bord de l’océan puisque ma vie semble emprisonnée entre la maladie et la liberté, entre la souffrance et l’intensité, entre les opérations et la renaissance. Je suis à la fois un corps allongé au bloc sous le scalpel mais aussi un corps qui tourne en robe rouge dans les vagues. Et dans ces deux univers éloignés, Aïcha sert de guide qui me tient la main dans l’enfer et dans l’éblouissement.
Tourner ce clip à ce moment-là de ma vie a eu beaucoup de sens, cela me donne un très grand courage car je reçois tant de messages d’amour et d’admiration que cela m’aide à mettre un pied devant l’autre, un pas de danse après l’autre. Les opérations sont celles de la reconstruction et cette chanson est un hymne à cette résurrection que je vis.
Tu as choisi de mettre votre art au service de ce magnifique projet. Qu’est-ce que la danse te permet d’exprimer que les mots ne peuvent pas dire ?
©Artsan, Sandra Boyer
Avec bac+10, une section internationale en lycée hypokhâgne et khâgne, l’agrégation et un doctorat en littérature anglophone, je n’avais été que cérébrale. J’avais sacrifié ma jeunesse à la connaissance, aux livres mais je n’avais pas gouté à la vraie vie. Le cancer m’a rappelé que j’avais un corps qui tirait sa sonnette d’alarme. Je me suis dit : « si je ne dois pas avoir 30 ans alors j’ai un rêve à réaliser, c’est celui de danser, de dire mes émotions par mon corps, être envoûtée et envoûtante, sauvagement en vie après avoir été trop sage et toujours dans l’excellence ».
Nous avons alors monté la compagnie à corps d’émoi en plein dans la tempête, et je suis montée sur scène, chauve en pleine chimiothérapie. Quand je danse, je ne suis pas malade, je n’ai pas de symptômes, pas de fatigue, pas de douleur. Je faisais des spectacles parfois avec le pansement encore sur ma chambre implantable. C’est ce que j’ai eu la chance de raconter dans mon Tedx Bordeaux.
J’ai eu un problème de dosage pendant le traitement et j’ai été brûlée de l’œsophagite à la rectite, mais lorsque j’étais sur scène, je ne ressentais aucune douleur. J’avais mes glandes salivaires brûlées, j’avais de la salive artificielle, mais je pouvais danser pendant plus d’une heure sans me sentir diminuée mais au contraire grandie.
Lors de la radiothérapie, j’ai été brûlée sous l’aisselle, je ne supportais pas le frottement d’un T-shirt, et pourtant mon partenaire de danse, Florian Salle, me soulevait sous les bras pour faire des portés et là, de façon incompréhensible, je ne sentais rien. Même mes saignements de nez en coulisses s’arrêtaient dès que je mettais un pied sur scène. La danse me sauvait. La danse me soignait.
Mon corps est malade et traverse les hôpitaux, les opérations et se soumet aux machines et aux injections, mais quand il est sur scène en robe rouge alors mon corps est vecteur d’émotion et de vie. Je me sens puissamment vivante quand je suis un corps en mouvement et pas inerte. En mai 2024, avant l’ablation de mon sein gauche, chauve, j’ai dansé avec le ZN Studio pour le spectacle « I âme », devant 1500 personnes au Pin Galant, je sais que nous avons marqué les esprits. Je n’oublie pas qu’une femme sur huit traversera cela, alors incarner la force sur scène est une manière de montrer que cela est possible : l’espoir est tissé dans nos veines, même envahies de tuyaux, l’envie de vivre circule dans notre sang à la vitesse de la lumière.
Si tu devais adresser un message à une femme qui vient d’apprendre qu’elle a un cancer du sein, que lui dirais-tu ?
Hélas, j’ai bien une amie qui vient d’apprendre qu’elle a un cancer du sein, elle vient juste de débuter sa première chimiothérapie hier. Comme elle, j’ai vécu mes deux cancers pour Noël - dans le froid glacial de la maladie, subsistent les lumières qui clignotent sur le sapin. Je lui dirais de s’accrocher aux petites choses qui brillent encore dans l’obscurité du long parcours.
Je lui dirais, ainsi qu’à toutes les autres femmes que je vois comme des sœurs de combat, comme ma sœur de sang qui a eu à affronter ce chaos aussi, de croire en leur puissance, de s’autoriser à être fragiles et vulnérables car cette bataille nous défonce on ne va pas se mentir, de conserver en elles la force de la joie. Il s’agit aussi de savoir ce qui nous rend vraiment heureuses. Il s’agit aussi de se détacher parfois de tous les rôles qu’on a joués en tant que femmes et qui nous ont perdues parfois pour renouer avec qui nous sommes vraiment. De faire de cet ouragan, un temps pour soi, pour respirer différemment et créer dans un domaine qui nous fait plaisir. Nous sommes des héroïnes inspirantes alors on avance, on doute et on s’effondre, puis on se relève, au nom de la force de vie en nous. On fait confiance du mieux possible.
Notre corps sera abîmé, notre esprit aussi, mais ils seront également fortifiés. Sous nos cicatrices, nous cachons toutes un phénix, au fond de nous, déployons ses ailes.
Cherchons une inspiration dans l’amour et essayons de nous accrocher à notre propre lumière.
En tant qu’enseignante, je vois dans mes classes de terminales de futures malades, c’est statistique, à la danse aussi, parmi mes collègues, mes voisines, alors je me dis que je leur montre humblement mais solidement que nous ne sommes pas notre cancer, nous sommes tellement plus, que nous pouvons être fières de nous car quand on perd tout - pour moi, mon père, mes seins, mes cheveux, mon utérus, mon insouciance - il nous reste cette soif de vie et d’émerveillement qui nous mène vers l’essentiel, vers l’amour des autres, de soi et de l’existence même.
Pour que nous dansions toutes à notre façon et que dans cette danse, nous entrainions toutes celles qui ont besoin d’être happées par la musique, on est plus fortes quand on se tient toutes la main. On a moins peur de tomber. On a plus de courage à danser malgré la pluie battante.
« Je dédie ces mots à Nicolas, le nouveau compagnon de ma mère, décédé ce matin d’un cancer du cerveau. Je dédie également ces mots à mon Papa qui me manque... L’amour ne s’éteint jamais. »
Aïcha - Pour qu'elle Danse (CLIP officiel)
Céline, un immense merci d’avoir pris le temps de répondre à nos questions !
XOXO Keep A Breast