Anne Kuhn, photographe aux féminins

Bonjour Anne Kuhn et merci infiniment d’avoir accepté notre invitation pour nous parler de ton fabuleux travail et célébrer cette collaboration qui nous est si chère !

Anne Kuhn, si on t’a conviée aujourd’hui, au-delà du fait que tu es une femme formidable, c’est aussi parce que tu es photographe. Et pas n’importe quelle photographe, puisque depuis quelques temps, tu es l’oeil qui se cache derrière les magnifiques clichés de bustes de notre opération #Art4Boobies.


Avant d’aborder ton travail pour l’association, est-ce que tu pourrais aborder les raisons qui t’ont poussé à devenir photographe ?

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Anne : J’ai toujours eu besoin, un besoin viscéral, de me retrancher derrière une forme artistique pour aller exprimer quelque chose. Cette chose n’était pas toujours très précise, mais je n’avais peut-être pas suffisamment confiance en moi pour que ça soit par les mots. L’art est devenu très vite un prétexte pour moi, si j’y mettais du cœur et si j’y mettais du sens, pour avoir une voix. J’ai été chanteuse, j’ai été danseuse, j’ai beaucoup vibré sur scène, je me suis régalée à m’exprimer sous différentes formes, je suis même passé par le collage, c’était d’ailleurs assez ridicule. Et puis un jour, je me suis saisie d’un appareil photo, persuadée que ça ne m'était pas autorisé puisque j’avais un père photographe, père qui ne m’a rien appris et qui a regardé de loin la manière dont j’allais m’y prendre. J’avais toujours un peu le sentiment que toute légitimité lui revenait et pas à moi, jusqu’au moment où j’ai compris et estimé que je pouvais, moi aussi, me déclarer photographe. 

 

Lorsqu’on se promène sur ton site, on peut lire “Je photographie les femmes pour les raconter…”. Photographier les femmes, cela a toujours été une évidence pour toi ?

Anne Kuhn, Arrivée, Lumière des passés.

Anne Kuhn, Arrivée, Lumière des passés.

Anne : Oui. Parce que photographier les femmes, c’est une manière de me mettre en scène, c’est une manière de m’identifier et de parler de moi. Non seulement, je cherche à les raconter, mais je cherche à comprendre la manière dont peut fonctionner la liberté pour chacune d’entre elles, tout comme pour moi. M'identifier auprès de toutes ces femmes que je vais incarner, c’est aussi le moyen pour moi d’aller m’interroger sur ce que je voudrais de mieux pour moi, sur la manière dont je pourrais me remettre en question et aussi la manière dont je peux sublimer chacune d’entre elles comme si je me sublimais moi-même. Les femmes sont en évidence et j’en suis une, donc c’est à travers cela que je peux photographier un peu de ma propre histoire et un peu de ma propre expérience, à chaque fois que l’une d’entre elles s’incarne sous mon objectif.

 

Et pourquoi avoir choisi Keep A Breast pour donner de ton temps et de ton talent ? 

Camille Lou, vue par Anne Kuhn pour keep a breast.

Camille Lou, vue par Anne Kuhn pour keep a breast.

Anne : Quand Keep A Breast est venue me chercher, c’est sans hésiter que j’ai répondu à l’appel. D’abord, j'étais très honorée d’être sollicitée pour représenter ces femmes derrière mon appareil photo. Ensuite, moi qui ai la chance de n'avoir jamais été touchée par la maladie mais qui connaît des femmes qui l’ont été, je trouve que c’est très important que les femmes soient sensibilisées à la prévention que propose Keep A Breast. Je souhaite vraiment que mon entourage, et le plus grand nombre, puisse y avoir accès. Enfin, je suis ravie de pouvoir être aperçue et contribuer, à ma manière, à ce que l'application soit connue et à ce que plus de femmes puissent s'auto dépister et éviter cette terrible maladie. 

Keep A Breast fait un travail de prévention qui est essentiel. J’ai 3 filles, elles sont très jeunes et je leur ai tout de suite dit qu’il fallait qu’elles téléchargent l’application, qu'elles soient attentives et qu’elles-mêmes diffusent cette application auprès de leur propre réseau. Grâce à Keep A Breast, j’ai pris conscience du fait que les très jeunes n'avaient pas le sentiment d'être concernés alors que même les jeunes sont concernés. 

C’est pour moi un honneur de pouvoir m’investir dans une association et de photographier quelqu’un dont on va mouler le buste, j’essaie à chaque fois de faire quelque chose d’un peu ressenti, d’un peu touchant, d’un peu émouvant et dans un esthétisme qui est le mien. 

 

Quel a été le moment le plus fort de ta vie d’artiste ? Même si on imagine que ce n'est pas une question pas évidente ;) 

Anne kuhn, L’interdite, Lumière des passés.

Anne kuhn, L’interdite, Lumière des passés.

Anne : Je suis vraiment habitée par mon travail. Je ne suis pas quelqu'un qui me réveille un matin en me disant : “Tiens, qu’est ce que je pourrais faire comme série de photographies qui pourrait plaire aux gens, qui pourrait vendre ?” C’est pas du tout comme ça que ça marche. 

Je suis en général, habitée par un sujet qui va prendre tout mon espace, de jour comme de nuit. Je vais y penser tout le temps, allant jusqu’à me relever pour prendre des notes. Et pour chacun de mes projets, il y a toujours un moment, pendant mon travail, où je vais ressentir que j’y suis, et je vais être moi-même bouleversée par une émotion. Et quand je suis bouleversée par cette émotion, je sais que là, je suis dans quelque chose de juste. Je ne dis pas que ça va plaire à tout le monde, je ne dis pas que tout le monde va y être sensible mais en tous les cas, c’est sûr que moi, personnellement, je ne pourrais pas aller plus loin parce que cette émotion-là, elle est là, elle me bouleverse et c’est là que je sais que je suis dans la justesse de mon travail.

 

Aurais-tu peut-être aussi une anecdote à nous raconter ? Un moment inattendu qui t’aurait marqué plus que les autres ?

anne kuhn, Marie-Madeleine, Feminae Singulares.

anne kuhn, Marie-Madeleine, Feminae Singulares.

Anne : Je crois qu’on ne peut pas travailler si on ne laisse pas un peu de place à l'inattendu. Je n’ai jamais réalisé aucune photo sans que quelque chose ne surgisse, de totalement inattendu et qui vienne donner un ton différent à ce que j’avais imaginé. J’ai préparé chacune de mes photos avec beaucoup de soin, je suis même allée jusqu’à créer des storyboards, avec des photos de décors dans lesquels j’allais mettre mon sujet. Et au moment de faire la photo, rien ne se passe comme prévu et tout à coup il y a une expression, il y a un mouvement, il y a une lumière qui fait que ça me parle autrement et je laisse tomber comme une vieille chaussette tout ce que j'avais pu imaginer, pour laisser la place à ce qui est en train d'émerger et à ce qui est en train de m'émerveiller. 

Créer c’est être capable de laisser la place à l'inattendu. 


 

En parcourant ton site, on y retrouve des extraits de tes œuvres. Y a-t-il un projet en particulier dont tu aimerais nous parler aujourd’hui ? 

Anne : La série Héroïnes. Elle m’a été inspirée par les héroïnes de la littérature, et lorsque je me suis intéressée à elles, je me suis intéressée à des héroïnes contraintes. 

Contraintes par la domination masculine, contraintes par l'époque qui empêchait toute ascension sociale ou encore par le fait qu’une héroïne puisse entraver elle-même sa propre liberté. Pour chaque héroïne, j’ai travaillé en deux photos. Une première photo qui recontextualise l'héroïne dans son époque, et telle qu’elle a été écrite par l'écrivaine ou l'écrivain. Une deuxième photo où, tel un battement d’ailes de papillon qui aurait modifié sa destinée, j’essaie de l’affranchir de sa contrainte, j’essaie de lui donner la possibilité d’aller vers autre chose. Je ne cherche pas à faire un happy end, l’idée c’est qu’elle aura fait tout ce qui est en son pouvoir pour modifier quelque chose à sa vie afin d’aller vers quelque chose de plus juste et de plus harmonieux, qui lui correspondrait davantage. 


Anne kuhn, Célestine, Héroïnes. “La révolte relève t-elle plus que jamais de l'utopie ?”inspiré de "le Journal d'une femme de chambre” d’octave mirabeau.

Anne kuhn, Célestine, Héroïnes.

“La révolte relève t-elle plus que jamais de l'utopie ?”

inspiré de "le Journal d'une femme de chambre” d’octave mirabeau.

Cela renvoie à cette idée que je fais les choses comme si c'était pour moi. J’essaie avec ces héroïnes, de leur apporter une vie meilleure, comme si c'était ma propre vie. 

Par exemple, j’ai choisi Célestine, tirée de Le Journal d’une femme de chambre, parce qu’elle est pour une moi une écrivaine talentueuse qui se résigne à une vie de domestique grâce a une sorte d’armure de mépris et d’indifférence. Dans la deuxième photo, je la matérialise dans une camisole de force, en train de crier parce que je voudrais que dans sa vie, elle se donne les moyens de devenir l'écrivaine qu’elle mérite d'être, pas une domestique. J’en profite aussi ici pour faire un clin d'œil à Camille Claudel qui, comme toutes les femmes artistes de son époque, a été considérée comme une femme hystérique et s’est retrouvée à l’asile pour le reste de ses jours. L’important, ce n’est pas que ça se termine mal pour Célestine, ou que certaines de mes héroïnes, quel qu’en soit le coût, ne parviendront pas à une vie équilibrée. Ce qui est important, c’est qu’elles décident à tout prix de ne rien céder à leur liberté et à leur désir d'être elles-mêmes.


 

Et où peut-on retrouver cette série ? Peut-on se la procurer ? 

Anne : Ce travail est trouvable dans un livre où j’ai pu recueillir les deux photos de chaque héroïne mais aussi un extrait du livre qui vient, en interdépendance, répondre à ces photos. En guise de titre, j’ai posé une question, à laquelle les personnes qui ont posé pour moi ont répondu. Non pas parce qu’elles ont la réponse, mais parce qu’elles ont une réponse. L’idée derrière étant de permettre au lecteur de s’interroger sur la manière dont lui ou elle formulerait sa propre réponse.

Ce livre est distribué par les éditions Contrejour, on peut le commander sur leur site, en librairie ou auprès de moi et avoir ainsi une vision complète du concept de cette série. 

 

Avec le contexte actuel, pas facile d’exposer son travail en France ou à l’étranger. Il paraît que tu as un nouveau projet qui a vu le jour récemment, peux-tu nous en dire un peu plus ?

Anne : Je termine une série qui s’appelle Feminae Singulares -Les Femmes sont Singulières-, série pour laquelle j’ai volontairement choisi un titre en latin car j’avais envie de donner une notion intemporelle à ce projet. Pour ce projet, je me suis inspirée de femmes qui ont réellement existé. Elles ne sont pas toutes connues dans l'esprit des gens mais pour moi, elles ont toutes laissé une trace essentielle (ou doivent en laisser une). Spécialement pour ce projet, j’ai mis au point un procédé particulier de tirage, vraiment unique et qui donne un effet assez étonnant de la photo, presque en 3D. 

Vous pouvez la retrouver sur mon site, et bien sûr dans la galerie Exit Art qui la représente et qui a fait, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, une vidéo pour en parler. 

Merci beaucoup Anne pour votre sincérité et votre chaleur ! On peut enfin mettre un visage sur l’objectif si talentueux qui fait honneur aux bustes des femmes qui posent pour notre cause !

Lorene Carpentier