Keep A Breast Europe

View Original

Lili Sohn, autrice de BD à seinsations !

Bonjour Lili et merci mille fois d’avoir répondu présente pour nous raconter ton histoire aujourd’hui !

Lili, illustratrice de talent, #kfighteuse en rémission, autrice de BD à succès, maman d’un petit garçon et d’après la rumeur… avec même une nouvelle petite brioche au four, on peut dire que vous êtes une femme bien occupée ! On est ultra-fan de vos ouvrages et de votre blog, qu’on conseille à toutes nos lectrices et lecteurs qui ont pourraient profiter d’un grand coup d’énergie cosmique !

Mais commençons par le commencement -enfin celui de cette incroyable aventure d’autrice de BD- un sujet malheureusement bien plus sérieux, celui qui nous concerne aussi, le cancer du sein et de son dépistage. Alors peux-tu nous expliquer comment s’est passé pour toi le diagnostic, du moment où tu as compris que quelque chose n’allait pas, jusqu'à celui de l’annonce officielle par le corps médical ?

Lili : J’ai 29 ans, je suis graphiste et un beau jour je m'aperçois que mon téton rentre à l'intérieur. À ce moment-là, j’habite à Montréal et là où je bosse il y a une clinique. J’avais donc facilement accès à un médecin donc je suis allée lui montrer. Et il ne trouvait rien, il disait juste que c’était à surveiller. J’y suis ensuite retournée une deuxième fois, il ne trouvait toujours rien mais par acquis de conscience, il m’a envoyée faire un écho. 

Et c’est donc à cette écho que l’échographe m’a demandé : "Ça fait combien de temps que vous sentez cette boule ?” 

Mais moi je ne sentais rien du tout, tout comme mon médecin qui lui non plus n'avait rien senti.

C’est là que tout s’est enchaîné. Mammo, biopsie et c’est après la biopsie que le mot cancer est tombé. Mais je l’avais déjà compris avant puisqu’une infirmière -très- maladroite mais bien intentionnée, l'infirmière de mon travail m’avait dit : “Ah ba moi j’ai bossé en oncologie et ça c’est sûr, c’est un cancer !” 

 Et à ce moment-là Lili, que s’est-il passé ? Est-ce que tu as traversé différentes étapes d’acceptation, comme c’est souvent le cas ?

Lili : Déjà à n’importe quel âge, ce n’est pas du tout quelque chose auquel on s’attend. Mais à 29 ans probablement encore moins. C’est vrai que je me suis dit que c'était un mauvais rêve et que j’allais me réveiller. Quand j’ai eu la confirmation que c'était vraiment un cancer, après la biopsie, je ne l’entendais pas. J'étais dans le déni, ce n'était pas possible. 

Mais ensuite tout s’est enchaîné tellement vite que j’avais la tête dans le guidon et tous les traitements et opérations se sont alors enchaînés. 

La phase de vraie compréhension est arrivée après tout ça, quand tous les traitements se sont arrêtés en fait.

Chez Keep A Breast, on utilise le sport et les arts comme outils de prévention et de soutien face au cancer du sein. En tant qu'illustratrice, est-ce que l’art a été une forme de refuge pour toi ? Un moyen d’expression aussi ? Une catharsis peut-être ?

Lili : On peut dire les trois oui ! Je faisais déjà un peu de bande dessinée pour moi avant. Quand on m’a diagnostiquée, j’ai ouvert mon blog 3 jours après, ça a été vraiment hyper rapide. La question de “Est-ce que j’ai le droit de faire un truc drôle sur le cancer du sein ?” s’est posée pendant 2 secondes mais je me suis très vite dit OK GO. C'était super intuitif. C’est vraiment maintenant que je me rends compte du rôle qu’a joué ce blog dans mon aventure. Déjà, ça permettait d’informer les gens car j’habitais à l'étranger, mais ça m’a aussi vraiment aidé à l’annoncer à tout le monde. C'était beaucoup d'énergie, beaucoup d'émotions à gérer, ce que je n'étais pas capable de faire à ce moment-là. 

Ça me permettait aussi à moi de rejouer toutes ces informations qui m'étaient données. Et de mieux assimiler, de mieux comprendre tout ce qu’il se passait. On reçoit tellement d'informations, avec du vocabulaire médical et des grandes annonces, que c’est difficile de les comprendre. Prendre des notes, redessiner le tout, ça me permettait de mieux assimiler toutes ces infos, de recréer une sorte de théâtre intérieur. 

Mais il y avait aussi un côté cathartique, thérapeutique clairement. Et enfin un lien avec le monde, puisque je me retrouvais à rencontrer des femmes d’à peu près mon âge, dans le monde entier, qui traversaient la même chose, et ce sentiment de ne pas se sentir seule était totalement nécessaire.

Tchao Günther, ça m'a aussi permis de me créer une nouvelle fonction sociale. J'étais en congé maladie, et le fait de ne plus avoir de fonction sociale, ça peut être très difficile. Et donc ce projet a été un peu ma fonction sociale car très rapidement, les médecins ont compris quel rôle je pouvais jouer -il y a beaucoup de médecins qui utilisent mon blog ou utilisent mes BD pour informer leurs patientes- et donc tout à coup j’ai eu comme un rôle de vulgarisation à jouer qui a été très vite compris par les médecins qui me suivaient. Ils prenaient beaucoup plus de temps pour m’expliquer les choses, parce qu’ils savaient qu’il y avait une utilité derrière.

Pendant ton combat, tu as subi une opération et des traitements importants. Ce genre d’intervention touche directement à ce que la société a malheureusement tendance à associer à la féminité, peux-tu nous raconter ton expérience en tant que femme ?

Lili : Et bien je pense que ça m'a ouvert les yeux et ça m'a rendue féministe. 

Avant ça j'étais confite dans mon statut de blanche, cys, héthero, éduquée, d’un milieu non pauvre... Je savais ce qu'était le féminisme mais je ne le ressentais pas autant que je pouvais le ressentir. Jusqu’au moment où on m’a dit qu’on m’enlevait une partie de mes seins, puis les seins en entier. 

S’est jouée la question de la fertilité, le fait qu’on devrait plus tard me retirer mes ovaires… tout à coup se pose la question de “Qu’est-ce que c’est une femme ?” et “Est-ce que ça se résume à ces organes-là ?”

Puis au cours de la maladie sont venues les reflexions sur les dictats et les injonctions sociétales par rapport à l’apparence de la femme, le fait de devoir rester belle, les injonctions à la sexualité, au conjoint qui doit être épargné… ca m’a vraiment ouvert les yeux sur tout ça.

Et aujourd’hui, Lili Sohn, c’est une nouvelle femme ? Peux-tu nous expliquer ce qui a changé en toi et pour toi ? 

Lili : Ça a été une sacré aventure. Ça a été un élément déclencheur de beaucoup de choses, de réflexions, de militantisme mais aussi d’un nouveau métier puisqu’aujourd’hui je ne fais que de la bande dessinée alors qu’avant j'étais graphiste. Et c'était un peu mon rêve donc ça m'a complètement désinhibée et je me suis lancée les deux pieds dans ce projet-là. Sans forcément savoir que ca allait se professionnaliser derrière mais c’est le cas aujourd’hui et j’en suis ravie. 

Et ce qui est certain c’est que j’ai aussi l’impression d’avoir pris 10 ans de maturité, en 6 mois on va dire. Je ne dis pas que je suis moins conne qu’avant mais c’est une expérience de vie qui fait avancer dans ses réflexions. Finalement ça a été un cadeau, même si c’est une épreuve horrible. Je ne pense pas avoir changé mais ça m'a révélée. Sans la maladie ça m’aurait peut-être pris bien plus de temps ou je n’aurais peut-être même jamais fait tout ça. Il y a un côté accélérateur, un côté révélation, quelque chose qui a joué dans mon identité. 

Beaucoup de femmes qui te lisent aujourd’hui sont ou s'apprêtent à mener le combat contre le crabe, qu’est-ce que tu aimerais leur dire, qui t’aurait aidé à ce moment-là ?

Lili : Une phrase toute simple, c’est l'infirmière de mon oncologue qui m’a dit ça quand j'étais à Montréal et elle me le répétait souvent : “Un jour après l'autre". Si on arrive à passer cette journée, avec tout ce qu’elle implique, c’est déjà pas mal, pour le reste on verra demain...


Et à toutes les autres ? 

Lili : Faites attention à votre corps, notez les moindre changements. Apprenez à vous connaître.

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu aimerais ajouter pour conclure notre entretien ?  

Lili : J’ai beaucoup de femmes qui m'écrivent parce qu’elles ont des problèmes monétaires par rapport à leur reconstruction. De nombreuses femmes pensent que la reconstruction est payante. C’est faux ! Il faut changer de médecin. Tous les médecins ne prennent pas de dépassement d’honoraires pour la reconstruction. Il ne faut pas hésiter à demander plusieurs avis. Je me suis faite reconstruire gratuitement, par un médecin qui ne prenait pas de dépassement d’honoraires. Il ne faut vraiment pas hésiter à changer de médecin, la reconstruction est gratuite et accessible pour toutes. 

Tu fais bien de le préciser Lili, c’est souvent difficile de comprendre ses droits dans le marasme de la paperasse administrative et financière qui nous tombe dessus en plus du diagnostic ! 

Merci encore pour ta bienveillance, ta sincérité et ta spontanéité ! C’était un véritable plaisir de passer ce moment en ta compagnie. On te souhaite le meilleur pour la suite des (grands) événements et on te dit à très bientôt !

PS : Foncez toutes sur le de blog de Lili, son insta pour suivre ses aventures et retrouvez sa BD en trois tomes dédiée au cancer du sein : La guerre des tétons.