Julie Herbin Meunier, à ses soeurs de combat.
Bonjour Julie, merciiii d’avoir accepté de répondre à nos questions aujourd’hui. On est super contentes que tu aies répondu présente ! Nous suivons tes aventures depuis loooongtemps et on est super fières que tu sois des nôtres aujourd’hui ! Rien que ça !
Alors, pour rentrer dans le vif du sujet, celui qui nous anime, nous motive et nous donne envie de nous battre au quotidien, en 2015, alors que tu as 27 ans, tu es diagnostiquée d’un cancer du sein de grade 3. Est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de ton diagnostic ? Du moment où tu t’es rendue compte que quelque chose “n’allait pas” jusqu’à celui de l’annonce officielle par un membre du corps médical.
Julie : Comme chaque année, j’entame mon mois de janvier 2015 en prenant 3 rendez-vous très importants : médecin généraliste, dentiste et gynécologue.
C’est le mois du « check-up » complet comme je le fais depuis toute petite en suivant les conseils avisés de ma coach de vie préférée c’est à dire ma maman! Généraliste : ok. Prise de sang : ok. Dentiste : ok. Fin janvier, c’est le tour du gynéco… Il détecte un petit kyste, rien de grave selon lui : « Appliquez cette crème, et dans 7 jours il n’y aura plus rien ».
En réalité, je n’arrivais même pas à sentir le kyste dont le gynécologue m’avait parlé et je me suis dit : « Bon, il est temps qu’il prenne la retraite le doc… laisse tomber la crème aux hormones, ne va même pas la chercher à la pharmacie, tu n’as rien ! »
Pourtant, mi-février, un matin en mettant mon soutien-gorge, je sens une gêne au niveau du passage de la baleine. Je la touche et je sens une boule très dure qui ne bouge pas et qui ne me fait absolument pas mal. Elle m’empêche juste d’enfiler mon soutien-gorge. Je me souviens d’ailleurs ce matin-là avoir commencé secrètement mon propre mouvement de « libération des tétons » en partant travailler sans oppression mammaire, et j’étais si bien, je me sentais si libre !
Le week-end suivant, je suis allée rendre visite à mes parents et j’en ai profité pour parler à ma mère de cette boule dans mon sein gauche qui me gêne et m’agace. Elle touche et fait un bond en arrière, comme si elle avait pris du jus, comme si elle avait touché une épine très piquante. Elle me demande : « Ça te fait mal ? », je réponds : « Non, aucune douleur », elle réagit : « En plus, ça ne te fait pas mal, je n’aime pas du tout ça Julie, retourne voir le docteur s’il te plaît ». La semaine qui a suivi, ma mère m’a appelée tous les jours pour savoir si j’avais repris rendez-vous chez le médecin. Elle m’a eue à l’usure et j’ai fini par obtempérer. Je ne voulais pas l’inquiéter davantage. À vrai dire, je m’inquiétais surtout pour elle.
Je retourne donc chez le gynécologue, qui ausculte de nouveau ma poitrine et dont le regard se transforme et s’assombrit quand il se met à palper mon sein gauche. J’espère secrètement qu’il va me reparler du kyste et que je vais devoir lui avouer que je n’ai pas suivi son traitement de crème aux hormones : c’est donc de ma faute si la boule a grossi.
Mais celui-ci me dit, tout en se reculant : « En effet Madame Meunier, ce n’est pas du tout le même examen qu’il y a 3 semaines, la boule a triplé de volume. On va faire un examen plus complet des seins.
Je prends donc rdv chez le radiologue qui me fait échographie, mammographie et biopsie dans la foulée… j’ai eu beaucoup de chance d’avoir une prise en charge aussi rapide.
Quelques jours plus tard, le diagnostic tombe sous la forme « nous avons une bonne et une mauvaise nouvelle ». La mauvaise : vous avez un cancer du sein HER2 positif amplifiée infiltrant 100% récepteur œstrogène de grade III
La bonne : On sait le traiter. ☺
Ton combat commence, tu subis des traitements lourds qui ont des conséquences directes sur ce que la société a tendance à associer à la “féminité”. Peux-tu nous expliquer comment tu as vécu cela ?
Julie : Comme mon cancer était très agressif, infiltrant et se développait vite en faisant grossir ma tumeur d’un cm par semaine, mon oncologue a préféré me faire tout de suite rentrer dans un protocole d’essai clinique qui m’a valu 18 mois de traitements avec 24 chimiothérapies, 2 opérations, 40 séances de radiothérapie et 5 ans d’hormonothérapie.
Pour autant, je n’ai jamais ressenti de perte de “féminité” en moi (mais plutôt une perte d’identité) car j’ai rapidement compris qu’être une femme c’était bien plus que d’avoir des cheveux longs, des seins, des ovaires et un utérus, c’est bien plus profond que cela. Je prenais plaisir tous les jours à m'apprêter en s'appropriant un style chaque jour qui me plaisait pour sortir la tête haute, sans subir le poid des regards compatissant qui me ramenait à mon statut de jeune malade alors que dans ma tête j’étais avant tout Xéna la guerrière. Ce terme peut choquer certains mais j’ai vraiment vécu cette période de ma vie comme une bataille avec moi même. Moi qui adorait changer de coiffure, je me suis servie du fait que je n’avais plus de cheveux pour essayer plein de couleurs, et en fonction de mon humeur je changeais de couleur de cheveux et je nouais des turbans sur ma tête avec des noeuds de plus en plus gros qui me permettaient de retrouver la sensation de me coiffer et de prendre soin de ma coiffure (alors que je n’avais plus de cheveux).
Et justement, pleine de ressources et de résilience, tu as imaginé une solution pour pallier à l’alopécie sans avoir à porter de perruque ? Tu peux nous en parler ?
Julie : Ne supportant pas ma perruque qui me grattait beaucoup trop et qui ne me ressemblait pas du tout, je me suis créée un système de fausse frange qui tenait sur ma tête sans cheveux par dessus lesquelles je venais nouer des turbans ou mettre des bonnets, au départ pour mon propre confort. Mais à force d’avoir des compliments de soeurs de combat qui suivaient mon blog, et des demandes pour savoir où se procurer la même chose, je me suis dit que lorsque je sortirai de toute cette histoire je le créerai pour les autres mais à une seule condition : Que ça soit financièrement accessible à tout le monde. On est tous sur la même marche face à l’adversité et à la maladie, et je voulais donc que mes créations puissent être accessibles à tout le monde, en termes de localisation (d'où la création au départ du site internet www.lesfranjynes.com) et en termes de prix. C’est la raison pour laquelle j’ai travaillé très dur pour que Les Franjynes aient une reconnaissance de prothèses capillaires partielles accompagnées de son accessoire textile, avec une prise en charge sécurité sociale totale quand “la parure" est achetée en officine. Les achats sur internet n’étant plus pris en charge depuis Avril 2019 malheureusement, créant une vraie rupture dans l’égalité des chances entre les citoyens... mais c’est comme ça, on espère qu’un jour, surtout après la crise covid et les confinements multiples, que le ministère de la santé reviendra sur cette décision.
Quelques années plus tard, après une hormonothérapie longue de 5 ans, tu es aujourd’hui en rémission. Désormais entrepreneure, tu dirais que Julie aujourd’hui, c’est une nouvelle femme ?
Julie : ahah, forcément... car on ne sort jamais pareille d’une telle expérience de vie. La maladie a été l'élément déclencheur pour que je devienne enfin, celle que je rêvais d’être sans avoir peur des jugements des autres et des qu’en dira t’on. Elle m’a donné la force d’enfin vivre la vie que je rêvais d’avoir et d’arrêter de vivre la vie que l’on avait rêvée pour moi.
Quand la maladie vous change aussi physiquement, vous laissant des blessures physiques et psychologiques, j’ai alors ancré dans ma peau cette reconstruction, en me tatouant vraiment beaucoup et partout... le tatouage (que je m’interdisais autrefois à cause de mon ancien métier de juriste) a été pour moi thérapeutique car il représente des modifications corporelles que cette fois j’ai choisi tout en révélant au fond qui je suis... rock and roll ;)
Les Franjynes reverse une petite part de ses bénéfices à différentes associations qui viennent en aide aux femmes atteintes du cancer du sein. Continuer à aider tes sœurs de combat au quotidien, c’est important pour toi ?
Julie : Les Franjynes reverse à la recherche contre le cancer, car c’est un essai clinique qui m’a sauvé la vie, et qui sauve aussi souvent beaucoup d’autres vies. La recherche a besoin de financements surtout dans un pays ou l’accès aux soins est possible pour tous grâce à notre système de santé unique de sécurité sociale solidaire qu’il faut absolument préserver. C’était pour moi la moindre des choses que de rester engagée dans la recherche, moi qui, si je n’avais pas été française, n’aurais sans doute pas pu me soigner. Je suis intimement persuadée qu’à force de chercher on finira par trouver, en nourrissant le rêve qu’un jour tous les cancers se soigneront, et que toutes les sœurs et les frères de combat guérirons, et je souhaite profondément contribuer à cela.
Le cancer est la maladie du 21 ème siècle, il n’a ni frontière, ni âge, ni sexe, ni pitié, il frappe partout, tous les jours et sans prévenir, étant toujours responsable de près de 9 millions de décès par ans dans le monde chaque année.
La santé est le bien le plus précieux de chaque être humain, car tant qu’on a la santé, absolument tout le reste est possible. C’est pourquoi je reste aussi engagée dans la prévention car il est primordial de rester toujours actrice ou acteur de sa santé.
Soeurs de combat… tu nous vois venir ? Cela nous rappelle “À mes sœurs de combat” un magnifique livre que tu viens d’écrire à ce sujet tiens ! Tu nous racontes un peu le pourquoi du comment ?
Julie : Quand j’étais malade j’ai écrit au départ un blog sur la gestion de la féminité et de l’identité pendant les traitements contre un cancer avec tous les effets secondaires que cela peut provoquer (attention il y a autant d’effets secondaires que d’humains sur terre, il ne faut pas forcément se projeter dans les effets secondaires des autres, car on réagit tous différemment). À travers ce blog, je ne faisais pas état de mes “états d’âmes” après mes chimios, mais je partageais des astuces beauté, bien-être et bonne humeur que je trouvais à droite et à gauche afin de les ancrer dans un seul et même endroit, mon blog. Je nourrissais le rêve que cela aiderait peut-être dans le présent ou dans le futur des personnes qui feraient une fâcheuse rencontre, elles aussi, avec un cancer. De ce blog j’ai développé une certaine façon d’exprimer les choses... de parler du cancer sans jamais minimiser mais en étant toujours de “bonne humeur” en essayant de voir toujours plus loin que lui. Car si il y a bien une chose que le cancer ne pouvait pas m’enlever c’était mon expression écrite et mon sourire. Une éditrice chez Larousse suivait mes aventures depuis le lancement concret des Franjynes et lisait tous mes posts. Un jour de novembre 2019, elle m’a fait un mail afin de me proposer un projet d'écriture, un recueil de conseils appuyé sur mon vécu. Je me suis dit qu’une occasion pareille de livrer un message au plus grand nombre ne se présenterait sans doute pas deux fois, et j’ai donc sauté dans le train sans trop réfléchir à la charge de travail supplémentaire que ça me donnerait en plus de mon projet d’entreprise car je voyais surtout la finalité : laisser un message sincère, sans filtre, et positif à mes soeurs, mes frères, mes belles-soeurs, mes beaux-frères (les accompagnants) ainsi qu’aux soignants (ces personnes si importantes). Leur expliquer que la résilience n’est pas une obligation, car chacun fait finalement comme il peut, et c’est déjà beaucoup.
On a adoré ! On pense qu’il peut vraiment être utile et bienveillant pour toutes celles et ceux qui le liront. Cancer ou pas d’ailleurs ! Il permet aussi de comprendre et d'intégrer des tas de choses ! Tu as d’autres projets d’écriture ? Ou d’autres projets tout courts, toi qui as tant d’idées ?
Julie : Hahaaaa j‘ai une idée à la minute et je dors même avec un carnet à côté de mon lit car je suis souvent réveillée la nuit par des idées qu’il faut je note tout de suite pour ne pas les oublier. Tout va trop vite dans ma tête, parfois je me fatigue toute seule ! Sauf que cette année, j’ai décidé de lever le pied et de ne pas développer plus de nouveautés (on en sort déjà tous les mois c’est largement suffisant) afin de prendre aussi du temps pour moi, cela fait 5 ans, depuis l’annonce de ma rémission que j’ai la tête dans le guidon, comme une envie irrépressible de rattraper le temps que m’ont pris mes 2 ans de traitements... sauf que ça ne se passe pas comme ça ! Il est temps cette année que je me consacre à la structuration de mon entreprise afin de retrouver du temps pour moi, ma famille, mes amis, mon mari et mon chat. Je donne beaucoup de conseils, que je ne m’applique pas forcément à moi-même, alors il est temps !
Je souhaite me remettre à la danse, au fusain, à la peinture, au tatouage, au skateboard, et je veux apprendre le roller dancing. J’ai aussi décidé de laisser la nature faire, afin de voir si elle me donnera la chance ou pas d’être maman, tout en me disant que si ça marche, c’est qu’avec mon mari on devait être parent, et que si ça ne marche pas, c’est qu’on ne devait pas l’être et on est OK avec ça. Pour pouvoir aider les autres, il faut d’abord être bien et en accord avec soi-même et ses valeurs. Un petit recentrage pour un redémarrage en bonne et dûe forme dans tous les sens du terme s’impose donc ☺
Merci infiniment Julie d’avoir satisfait notre curiosité :) On te souhaite le meilleur, à toi, à tes Franjynes et à tes sœurs de combat ! Un petit mot pour elles justement ? Pour terminer cet entretien ?
Julie : J’aimerais leur dire de garder confiance en leur corps, moi qui l’ai perdu si longtemps à tort jusqu’à ce que je prenne conscience qu’en réalité, chaque être humain sur cette terre dispose d’une arme ultime en lui, une force que la nature nous donne dès notre naissance : L’instinct de survie.
Et enfin je vais leur dire une phrase que j’ai empruntée à quelqu’un que j’admire beaucoup qui s'appelle Philippe Croizon, car elle me guide tous les jours depuis que je l’ai entendue en conférence : L’impossible n’existe pas... car dans impossible il y a possible.